Le monde va beaucoup mieux que vous ne le pensez
L’humanité ne s’est jamais aussi bien portée qu’aujourd’hui, affirme
Steven Pinker, professeur à Harvard, dont les travaux sont un puissant antidote
au pessimisme ambiant.
Source :Jocelyn Coulon, L’actualité
New York, avec ses 8,5 millions
d’habitants, a enregistré 286 homicides en 2017, le nombre le plus bas depuis
qu’elle tient des registres sur ce type de crime. Au pire moment, en 1990, il y
avait eu 2 245 meurtres. La métropole était alors synonyme de violence et
d’insécurité. Pas étonnant que l’embellie annoncée en décembre dernier ait fait
la une des médias.
Steven Pinker, qui étudie
l’évolution de la violence au cours des siècles à l’Université Harvard, où il
enseigne la psychologie, n’est pas surpris par ces chiffres. Malgré les
attentats des djihadistes et les guerres en Syrie et en Irak, la violence ne
cesse de diminuer dans le monde, démontre-t-il dans La part d’ange en nous (Les
Arènes), publié en anglais il y a quelques années. Il confirme cette thèse dans
son dernier essai, Enlightenment Now : The Case for
Reason, Science, Humanism and Progress (Viking). Ce
Montréalais de naissance, diplômé de l’Université McGill, explique son constat
à L’actualité.
L’ampleur et la nature des guerres et des génocides du XXe siècle
ne viennent-elles pas contredire vos arguments sur le déclin de la
violence ?
Non,
parce que mon propos n’est pas de dire que la violence sous toutes ses formes a
diminué de façon linéaire et en parfaite synchronie depuis le début des temps.
On parlerait alors de magie, et non pas de progrès.
J’ai examiné toutes les données que j’ai pu trouver sur les taux de violence au
fil du temps. Toutes indiquent une diminution de la violence. Les taux
d’homicides représentent le dixième de ce qu’ils étaient au Moyen Âge. Le taux
annuel de morts causées par la guerre représente moins du dixième de ce
qu’il était dans les années 1950 et 1960. Les coutumes barbares — comme
les sacrifices humains, l’esclavage légalisé, la mise au bûcher des hérétiques,
la mise à mort des sorcières par noyade et les exécutions pour crimes mineurs
tels que le vol à l’étalage —, qui ont déjà été fort répandues dans toutes les
sociétés humaines, ont été abolies. Malgré les scandales des dernières années,
les taux de viol, la violence conjugale et la maltraitance des enfants, tout
cela est à la baisse.
Tout de même, les deux dernières
décennies ont vu une recrudescence des conflits et un recul de la
démocratie : les attentats du 11 septembre, la Syrie, l’Ukraine, la
Russie…
C’est
une impression, car la tendance générale va dans le bon sens. En 1988, les 23
guerres en cours faisaient des victimes au rythme de 3,4 personnes pour 100 000
habitants ; aujourd’hui, 12 guerres font 1,2 victime pour 100 000. Le
nombre d’armes nucléaires a baissé, passant de 60 780 à 10 325.
Malgré des reculs comme on en voit en Russie, en Turquie et au Venezuela, la
tendance à long terme en matière de gouvernance penche vers la démocratie et
les droits de la personne.
Pourquoi sommes-nous moins
violents ?
La
nature humaine repose sur des motivations qui font de nous des êtres violents,
comme la domination, la vengeance, le sadisme et l’exploitation, mais aussi sur
des motivations qui nous empêchent d’être violents, comme la maîtrise de soi,
l’empathie et la raison — ce qu’Abraham Lincoln appelait « la part d’ange
en nous ». Avec le temps, les institutions et les normes ont amené notre
part d’ange à se manifester de plus en plus, que ce soit par la démocratie, le
commerce, les institutions mondiales, l’éducation et la littératie.
Les institutions internationales, dont l’ONU, sont donc des facteurs de paix ?
En
général, oui. La théorie de la paix élaborée par le philosophe Emmanuel Kant
repose sur trois piliers : la démocratie, le commerce et les organisations
internationales. Un type d’organisation en particulier peut se targuer de
contribuer nettement au recul des guerres, surtout des guerres civiles :
les forces internationales de maintien de la paix de l’ONU. Aujourd’hui, il y a
100 000 Casques bleus déployés dans le monde, et leurs interventions, en
moyenne, diminuent la durée de ces guerres et favorisent la signature d’un
accord de paix négocié et sans vainqueur. C’est un progrès énorme lorsqu’on
pense que ces guerres conduisaient implacablement à la destruction d’une des
parties.
La révolution humaniste, ou les
Lumières, est aussi un des facteurs qui expliquent ce déclin, dites-vous dans
vos deux livres. En quoi adoucit-elle les mœurs et favorise-t-elle la
paix ?
La
« révolution humaniste », c’est le mouvement amorcé à l’époque des
Lumières, où l’on a commencé à vouloir s’éloigner des châtiments cruels, de
l’esclavage, de l’autocratie, de la guerre, de l’oppression des femmes et des
minorités. Le principal objectif de la moralité est alors devenu le bien-être
des humains, plutôt que l’obéissance aux commandements divins des textes sacrés
ou la glorification de la nation, de la tribu, de la langue ou de la foi.
Vous utilisez la biologie pour
expliquer les comportements pacifiques ou violents. Sommes-nous
physiologiquement plus anges que démons ?
Nous sommes les deux — c’est ce qui explique mon emprunt à Lincoln, « la
part d’ange en nous », pour le titre de mon livre. Elle suppose que
l’impulsion pacifique fait partie de la nature humaine, mais elle n’en
constitue qu’une partie.
L’autre partie, l’impulsion
belliciste, est souvent célébrée. Même dans la littérature. Moqueur,
Shakespeare en parle dans la pièce Le
marchand de Venise.
C’est
un fait, on a souvent vu la guerre comme objet de célébration : elle
serait héroïque, glorieuse, spirituelle et virile. Dans Le
marchand de Venise, le personnage de Portia souligne sur un
ton sarcastique l’absurdité de cette façon de voir les choses lorsqu’elle
dit : « Ne confondez pas le meurtre avec la guerre : car le
meurtre est un crime abominable et égoïste, alors que la guerre est une
aventure héroïque et patriotique. » On a néanmoins continué de glorifier
la guerre pendant des centaines d’années. Ce n’est qu’après la Première Guerre
mondiale que le militarisme romantique a amorcé son déclin.
Avec le déclin de la guerre entre
les pays depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le monde vit depuis 1945
une « longue paix », écrivez-vous. La paix sera-t-elle
perpétuelle ?
La
« perpétuité », voilà qui est long ! Personne n’a le pouvoir de
prédire l’avenir à l’infini. Il se pourrait bien que les guerres entre pays
ramènent à l’avant-scène la vente des esclaves aux enchères, la mise au bûcher
des hérétiques et les vierges jetées en sacrifice dans les volcans. La
collectivité mondiale compte moins de 200 pays, et un nombre toujours plus
grand d’entre eux finira par convenir qu’il est préférable d’éviter la guerre.
C’est pourquoi le nombre de morts attribuables aux guerres entre pays est
constamment à la baisse.
Les guerres entre États ont
presque disparu, mais les guerres civiles sont bien présentes, non ?
Les
guerres civiles sont d’un tout autre ordre : n’importe quel groupe de
jeunes hommes en colère peut former une milice, obtenir des armes et combattre
le gouvernement, comme en Afghanistan, en Libye et en Syrie. C’est pourquoi
nous ne verrons pas de sitôt la fin des guerres civiles. Mais comme je le
disais, grâce notamment à l’ONU, il se pourrait qu’elles deviennent toutefois moins
nombreuses, plus courtes et moins destructrices.
À vos yeux, nous serons de plus en
plus nombreux à mourir dans notre lit ?
C’est
en effet la tendance à long terme. Bien sûr, personne n’est à l’abri des
mauvaises surprises, mais le simple fait de savoir qu’elles sont inévitables
devrait nous rendre encore plus déterminés à les prévenir et à maintenir à
l’avenir la tendance bénéfique au déclin de la violence.
7 autres fléaux en baisse
Il n’y a pas que la baisse généralisée de la violence qui
améliore les conditions de vie des humains, rappelle Steven Pinker dans son
dernier essai. Les fléaux suivants sont encore présents, mais ils suivent aussi
une courbe descendante.
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