vendredi 4 mai 2018

Tesla peut-il s’en sortir ?


Tesla peut-il s’en sortir ?

Source : Bertrand Rakoto, Autoactu.com.

Tesla est un constructeur intéressant à plus d’un titre, le premier étant celui d’avoir su rendre la voiture électrique attirante en tant que produit. En effet, jusque-là, les constructeurs semblent avoir régulièrement confondu originalité et marginalité pour s’être toujours efforcés de faire des soucoupes volantes à roulettes ou des cubes avec des phares de remorque.

Il a fallu attendre Tesla pour voir naître une certaine émulation et l’arrivée des Bolt ou Zoé et prochainement des Porsche Mission E et autres BMW i. Le second intérêt de Tesla est d’avoir su prouver qu’une voiture correcte peut naître vite si elle est conçue par une équipe efficace, dédiée et sans le parasitage de process lourds et de cultures corporatistes désincarnées.

Le troisième attrait de Tesla est son tour de force en s’imposant comme marque de luxe sans posséder ni passé ni histoire grâce à un storytelling fort et un greenwashing qui l’est encore plus.

Enfin, le dernier intérêt de Tesla est d’avoir réussi à attirer autant d’investisseurs sans offrir la moindre perspective crédible de profitabilité. C’est peut-être d’ailleurs là que réside le seul et véritable intérêt de Tesla.

Des problèmes qui s’accumulent

Mais la médaille a son revers. Tesla a su adopter de nombreux travers avec une rapidité sans pareil.

La culture de l’entreprise est très fragile et le passage de start-up à celui d’industrie a eu quelques conséquences.

La montée en cadence ratée de la Model 3, les effets de manche et les diversions pour camoufler les manquements, les promesses non respectées et des retards systématiques sont autant de preuves que Tesla accumule les difficultés sans les surmonter.

La vitrine du greenwashing se fissure face aux réalités environnementales de la voiture électrique mais aussi face aux accusations et enquêtes liées à la pollution émise par l’usine de Fremont en Californie.

Les menaces et les procès se multiplient. Aujourd’hui, 28% des actions sont désormais aux mains d’investisseurs qui parient sur l’échec de l’entreprise. Tout semble vouloir indiquer que l’aventure pourrait rapidement tourner court.

Les difficultés rencontrées par l’entreprise sont nombreuses et la plupart étaient totalement prévisibles.

En effet, l’ensemble des problèmes en amont de la mise en production de la Model 3 étaient facilement identifiables. Parmi les principaux soucis rencontrés, trois sont assez évidents.

Premièrement, l’instabilité des prévisions n’a pas permis aux équipementiers mais aussi à Tesla lui-même de sécuriser les productions et les approvisionnements de pièces. Les premiers retards auraient mêmes eu tendance à réduire les prévisions, c’est un cercle vicieux.

Deuxièmement, l’entreprise court après la trésorerie et a décidé de se passer de la pré-production et des pré-séries qui jouent pourtant un rôle majeur dans l’ajustement des pièces, des solutions techniques et des cadences. Les Model 3 produites sont mal ajustées, les cadences chaotiques et il semble que 90% des véhicules nécessitent des retouches en fin de chaîne. Les économies d’hier augmentent fortement les coûts d’aujourd’hui et ralentissent l’augmentation des revenus.

Une culture singulière mais toxique

La force de Tesla c’est la mentalité manichéenne attachée à la marque. Une approche entretenue par le management. Le dernier email de Musk aux employés de l’entreprise tente de remotiver tout en frôlant la propagande.

On peut également lire en filigrane une opposition entre Tesla et le reste du monde. On est adorateur ou ennemi, la demi-teinte ne semble pas exister. On peut pourtant aimer l’automobile électrique sans aimer Tesla pour tout un tas de raisons diverses et variées ou rester parfaitement indifférent à la marque. Ces nuances ne semblent pas convaincre les adeptes de la marque.

Cet embrigadement semble pourtant nécessaire pour avancer face aux faiblesses de plus en plus nombreuses dont la culture souffre. Les problèmes de racisme émergent, les rumeurs de licenciements pour empêcher une syndicalisation de l’entreprise se multiplient.

La culture est caractérisée par une course en avant perpétuelle. Les problèmes, même identifiés, ne sont pas traités. Le management pousse à une marche forcée permanente tout en utilisant l’artifice du marketing opportuniste à chaque occasion où un défaut se présente pour tenter d’en faire un point de différenciation.

Dans l’email de Musk, il est, entre autres, question des ajustements de panneaux dont les tolérances aujourd’hui ne seraient pas acceptables pour n’importe quelle autre marque. Mais à regarder de plus près, les tolérances sont discutables jusqu’aux points de soudures et, sans une refonte majeure des process de production et une meilleure formation des employés, il n’y aura pas d’amélioration possible.

Cela nécessitera beaucoup de travail car l’usine est désormais sur-robotisée et surpeuplée avec près de 6 000 employés. Avec plus de moyens techniques et humains qu’à l’époque de NUMMI (qui avait au plus haut 5 400 personnes), Tesla peine à extraire plus de 120 000 véhicules annuels d’une usine qui en avait produit près de 430 000 en 2006 et en 2007.

Une inquiétude grandissante

Malgré l’apparente confiance de Musk dans sa communication, ses positions ont de quoi être inquiétantes. En effet, la kermesse du patron qui dort le long de la chaîne de production participe au culte de la personnalité mais la diversion tend à prouver que les problèmes profonds ne sont pas résolus. Ils doivent l’être par les nombreux techniciens et ingénieurs de Tesla dont les compétences ne sont pas moins nombreuses qu’ailleurs.

L’entreprise doit améliorer sa culture dans les faits et pas seulement sur Twitter. Musk a admis avoir sous-estimé l’humain. Faut-il en déduire que la culture de son entreprise s’est trouvée désincarnée en moins de 15 années d’existence ?

Les analystes sont de plus en plus nombreux à parler d’une cessation de paiement ou d’une faillite dans les mois qui viennent, chiffres à l’appui. Une levée de fonds semble difficile dans le climat actuel et le principal moyen de poursuivre l’activité est de parvenir à augmenter la production pour vendre et générer des revenus.

Mais les pertes par véhicules risquent au contraire d’augmenter les dettes malgré l’encaissement du produit des ventes. C’est une course contre la montre pour survivre et payer les factures. Tesla est contraint de limiter les ventes de Model 3 aux clients qui veulent un véhicule suréquipé (panier moyen supérieur à $50,000) alors que les crédits d’impôts sont en passe d’être épuisés. Pour rappel, l’État américain offre aux acheteurs de VE un crédit d’impôt de $7,500 pour les 200 000 premiers véhicules électriques d’un constructeur.

Le Ponzi des prises de commandes de Model 3, de Roadster et de camion n’est plus suffisant pour assurer la suite. Malgré cela, Tesla pourrait révéler un nouveau modèle, une compacte ou un cross over (Model Y) pour enregistrer de nouvelles réservations. Mais le subterfuge risque de se voir.

La perspective d’ouverture du marché chinois apporte un peu d’espoir dans un tableau qui se noircit.

Par ailleurs, le soutien des fonds de pension sécurise pour le moment la situation. Pour eux, le potentiel compte plus que le réel. Et, lorsque l’on regarde la structure du bonus de Musk, il est permis de se demander si l’entreprise aurait un quelconque objectif de profitabilité.

Le patron (Elon Musk) toucherait 50 milliards de dollars à l’issu d’un plan de croissance du capital visant à atteindre 650 milliards de dollars.

Une telle démarche tient plus dans la séduction des investisseurs que dans la profitabilité et la réussite de l’entreprise. On pourrait en venir à prendre Tesla pour une vitrine servant à réunir des investisseurs sur la promesse d’une capitalisation démesurée, sous couvert d’une activité de véhicules environnementaux, un subterfuge parfait.

Dans ce contexte, les investisseurs éviteraient soigneusement que les actions n’atteignent le seuil de $200 que beaucoup d’investisseurs se sont fixés en pariant contre Tesla.

Dans cette hypothèse, l’entreprise ne pourrait survivre que si la couverture reste crédible. Et au-delà des problèmes de fonds qui peuvent trouver une issue, l’entreprise s’expose de plus en plus à des procédures légales engageant sa responsabilité.

L’entreprise a récemment été exclue d’une enquête sur la mort d’un conducteur de Model X. Par ailleurs, le système d’assistance à la conduite Autopilote est souvent montré du doigt faute de formation et d’information. Les conséquences pourraient se chiffrer en milliards et Tesla perdrait alors le soutien des investisseurs.

Quoi qu’il en soit, on ne peut douter de la volonté de Musk à changer d’échelle même si les méthodes ne semblent pas être les bonnes. En cas d’échec et de dévaluation soudaine, ne serait-ce qu’à 10% de sa valeur maximale, Tesla serait alors à la portée d’un nouvel investisseur capable de remettre à plat la production, voire faire du carry-accross avec d’autres modèles.

Une hypothèse dans laquelle Musk empocherait tout de même entre 1 et 2 milliards, un lot de consolation que beaucoup jugent acceptable.



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