vendredi 22 juin 2018

Les conséquences d’une politique automobile protectionniste aux États-Unis ?



Les conséquences d’une politique automobile protectionniste aux États-Unis ?

Source : Bertrand Rakoto, Auto Actu.com


Les contours de la politique du gouvernement américain se dessinent car ils suivent la logique de l’emploi local et de la préservation de certaines industries.

Ce protectionnisme a un effet positif immédiat sur le chômage mais les effets secondaires sont nombreux.

Pour le moment, il reste compliqué de vraiment comprendre les résultats à moyen et long terme que pourraient engendrer la restriction ou l’augmentation du prix des véhicules importés.

Du point de vue des ventes, les effets immédiats se traduiraient par une baisse des ventes estimée à 1 million de véhicules par le cabinet d’analyse LMC Automotive.

Du point de vue économique, l’impact serait ressenti à la fois par les réseaux et par les constructeurs.

En effet, la tendance de marché est marquée par une légère régression du fait d’un ajustement nécessaire après plusieurs années d’un redressement résultant de la crise comme je l’expliquais, ici même, en janvier.

L’argument des emplois

Le cheval de bataille est et reste l’emploi. Fort de vouloir satisfaire l’électorat qui l’a placé à la tête du pays, le gouvernement n’hésite pas à faire preuve de protectionnisme jusqu’à frôler l’isolationnisme, avec des conséquences variées.

L’impact sur l’emploi est réel et immédiat avec un taux de chômage de moins de 5%, soit celui d’un quasi plein emploi.

Les marchés financiers restent enthousiastes avec un Dow Jones qui campe au-dessus de 24 000 points malgré une stabilité toute relative ces dernières semaines. Il faut aussi noter que l’investissement et la consommation ont été dopés par la réforme fiscale.

Aujourd’hui, l’argument du gouvernement repose sur la nécessité de produire plus d’automobiles aux États-Unis et, par conséquent, de limiter les importations d’Asie (Japon, Corée et Chine), d’Europe (Allemagne essentiellement, mais aussi de France et d’Italie) mais aussi des partenaires historiques de la zone Nafta à savoir le Canada et le Mexique.

En effet, d’après CAR (Center for Automotive Research), 17,3 millions de véhicules ont été vendus aux États-Unis en 2017 et avec une production de 11 millions de véhicules dont 2,4 millions ont été exportés.

Seulement 8,6 millions de véhicules ont été produit et consommés sur place soit la moitié de la demande.

Une taxe à l’importation serait immédiatement répercutée sur le prix de vente des véhicules et réduirait d’autant le pouvoir d’achat des consommateurs sans pour autant favoriser la production locale car la plupart des usines tournent actuellement à plein régime.

Il faudrait donc plusieurs années pour que la production locale soit à la hauteur de la demande.

A l’heure où certains constructeurs souffrent encore de surproduction dans certaines zones géographique, cela ne ferait qu’augmenter les capacités de production et donc les coûts pour les constructeurs, sans même que la demande soit adaptée.

Les premiers à souffrir d’une taxe d’importation seraient donc les consommateurs puis les réseaux.

L’impact serait également nocif pour les constructeurs qui se retrouveraient en surproduction au niveau des usines alimentant les États-Unis.

Si à très court terme le jeu des emplois se vérifie, à moyen et long terme, le marché a de fortes chances de s’écrouler et d’emporter de nombreux emplois dans sa chute.


Des impacts complexes à définir

Dresser des barrières douanières a des effets secondaires parfois durs à définir. Il se dit aux États-Unis que chaque emploi dans l’usine d’un constructeur génère 15 emplois dans le reste de la filière.

Mais la mécanique n’est pas aussi simple d’autant que les récentes taxes d’importation sur l’acier et l’aluminium ont également des conséquences en matière de prix et de productivité.

D’une part, le protectionnisme favorise souvent des situations de prise d’otage et des hausses des prix et, d’autre part, toutes les qualités d’aciers et d’aluminiums n’étant pas produites aux États-Unis, la plupart des entreprises ont dû déployer divers efforts pour affronter la bureaucratie et obtenir des autorisations d’exemption de taxes pour les aciers et les aluminiums produits uniquement à l’étranger.

Il n’y a pas de véritable équilibre dans cette nouvelle donne et même plutôt un déséquilibre dans l’ordre actuel qui prendrait plusieurs années à se rétablir.

Les conséquences dans la filière d’approvisionnement seraient, elles, aussi nombreuses puisque les équipementiers ont suivi les constructeurs à travers deux démarches.

La première est de s’être rapprochée des lieux de production des constructeurs.

La seconde est d’avoir fait le jeu de leurs clients qui ont imposé une part de sourcing en pays dit "low-cost".

La règle du Made in America aurait donc des conséquences encore plus importantes pour la filière des fournisseurs de premier et de second rang car les barrières douanières exigeraient de réorganiser géographiquement les productions alors même que les usines sont nombreuses à couvrir différents marchés.

Dans certains cas, un choix stratégique en défaveur d’un marché américain baissier pourrait précipiter une chute du marché, des emplois et de la demande.

En cas d’application d’une taxe à l’importation élevée, les impacts pour le marché américain pourraient être nombreux et difficiles à gérer avec un report vers le marché de l’occasion comme on a pu le constater en France, pour d’autres raisons, depuis la crise de 2008.

Négociations ou coup de poker ?

Si la politique se précise, les incertitudes persistent. L’automobile américaine se retrouve malmenée.

Les facteurs de stress du marché et des industriels sont nombreux. La redéfinition des futures normes d’émissions semble aller largement au-delà de la demande des constructeurs qui ne voulaient pas influencer les seuils mais le calendrier d’application.

Les oscillations à la hausse du prix du pétrole pourraient également faire craindre un changement dans la nature de la demande et les véhicules les plus frugaux ne sont pas nécessairement ceux produits sur le territoire Etats-Unien, comme c’est le cas par exemple de la Toyota Yaris dont les versions 5 portes sont importées de France.

Enfin, le poids actuel des investissements dans la connectivité et la conduite autonome ainsi que les changements technologiques dans l’architecture, la consommation de mobilité et les services aux personnes troublent le jeu, particulièrement au niveau des marchés financiers, particulièrement friands de digital et d’autonomie.

Les revenus induits par les services de mobilité et la monétisation des données ne sont pas encore là et prendront encore plusieurs années pour être rentables et déployés.

Entre effet d’annonce et mise en application, le gouvernement américain a déjà prouvé qu’il était capable de passer à l’acte.

La politique n’est pas consensuelle et la guerre économique a été déclarée avec la Chine. Les menaces de taxes ou de représailles sont de plus en plus nombreuses.

Le Président joue une carte importante car des élections se tiennent en novembre prochain et l’enjeu est très important car le gouvernement pourrait perdre sa majorité au congrès et se retrouver avec beaucoup moins de marge de manœuvre.

Pour le moment, il pourrait s’agir d’annonces visant à séduire l’électorat qui a voté républicain aux présidentielles de 2016, dont les ouvriers de l’UAW, le syndicat américain des travailleurs de l’automobile, font partie.

Si le gouvernement passe à l’acte, constructeurs et équipementiers vont devoir réagir vite pour réorganiser leur production ou bien faire le dos rond et réduire fortement les investissements en matière de production et de distribution afin de limiter la casse le temps que l’orage passe.

Plus que les pays étrangers tels que la Chine ou l’Allemagne, le premier perdant de cette guerre économique pourrait être le consommateur américain.


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