La vérité derrière la sortie avortée en Bourse de
Tesla
Source : Bertrand
Rakoto, analyste indépendant dans l’intelligence de marché
Le feuilleton Tesla se
poursuit rebondissement après rebondissement.
Le 7 aout dernier, Musk
donnait un coup de fouet à l’action Tesla en annonçant qu’il songeait à retirer
l’entreprise des marchés financiers en rachetant les actions à $420 pièce et
ajoutait que le financement était sécurisé.
Puis, le 24 août, il a annoncé
que finalement l’entreprise resterait cotée au NASDAQ.
Une nouvelle fois en quelques
semaines seulement, le gestionnaire talentueux et communicatif s’est violemment
pris les pieds dans le tapis.
Le tweet d’Elon Musk a
déclenché une enquête de la commission américaine des opérations en Bourse
(SEC).
En annonçant le financement
comme sécurisé, Musk a commis deux erreurs majeures. Premièrement, aux États-Unis,
la communication des sociétés cotées en Bourse est très régulée et une telle
annonce ne respecte pas les règles en vigueur car la sécurisation du
financement aurait dû suivre un protocole d’information particulier.
Deuxièmement, il est
maintenant clair que le financement en question n’était pas sécurisé et Musk
aurait désinformé les marchés financiers, autrement dit, il aurait cherché à
influencer le cours de Bourse.
Cela mène inévitablement à
deux hypothèses, la première serait que Musk pensait réellement que le
financement était sécurisé, le second est que Musk voulait manipuler le cours
de l’action Tesla.
Dans les deux cas, sa
réaction soulève de lourdes interrogations sur l’avenir de Tesla et la capacité
de Musk à pouvoir poursuivre en tant que CEO et Chairman, à peine deux mois
après que les actionnaires lui aient renouvelé, in extremis, leur confiance.
Un jeu de dupe ?
Le premier élément à analyser
est la cause du tweet et les raisons qui ont poussé Musk à ajouter «
financement sécurisé » dans son message. En effet, l’homme n’est pas un novice
et ses actions sont souvent calculées.
On peut alors soulever la
question des échanges avec le fonds public d’investissement saoudien (PIF).
Récemment, le PIF aurait
investi dans Tesla et possèderait désormais 5% de l’entreprise.
On pourrait supposer que les
échanges entre Musk et les représentants de ce fonds, notamment le Prince
héritier Mohammed ben Salman, ont évoqué la question d’une prise de
participation plus large, éventuellement, dans le cadre d’un retrait de
l’entreprise des marchés boursiers.
Mais si cela est bien le cas,
Musk a pris un risque inutile en annonçant prématurément un accord non scellé.
Une telle communication est une erreur de débutant.
S’il s’imaginait pouvoir forcer un tel accord
en bénéficiant d’un vent favorable des marchés financiers, il a sous-estimé ses
interlocuteurs.
A ce jour, le PIF n’a pas
confirmé l’annonce de Musk mais semble plutôt s’engager dans un investissement
d’un milliard de dollars dans Lucid Motors, un futur concurrent de Tesla.
Les investisseurs saoudiens
montrent leur intérêt pour le véhicule électrique.
Il est toutefois nécessaire
de rester prudent car la bulle Tesla prouve que le véhicule électrique reste un
investissement plus spéculatif que productif. La volatilité du titre Tesla et
la décorrélation avec la valeur et les perspectives de l’entreprise prouvent à
quel point ces investissements sont risqués et bourrés d’incertitudes.
Par ailleurs, l’annonce de
Musk suppose qu’il aurait été en mesure de prendre seul la décision de mener la
négociation et sceller un accord sans en faire part ni au board ni aux
principaux actionnaires.
Cela illustre parfaitement
l’un des principaux problèmes de Tesla, la concentration des pouvoirs aux mains
d’un patron de plus en plus fragilisé.
Ces dernières semaines, Musk
a accumulé les problèmes entre des excuses publiques et des révélations sur un
rythme de vie épuisant mêlant somnifères et surmenage pour un homme qui a du
mal à s’entourer et à déléguer.
Enfin, la situation
financière de Tesla ne place pas l’entreprise sous son meilleur jour, d’autant
que les nombreux retards et les promesses non tenues ont érodé la confiance des
investisseurs.
Musk s’inquiète des shorters
mais il continue pourtant à les nourrir avec une communication dont la stratégie
laisse entrevoir de plus en plus de maladresses. Pour le moment, Musk a réussi
à faire remonter le niveau de l’action mais le yoyo se poursuit et les doutes
se multiplient.
Opération de la dernière chance ?
L’un des principaux problèmes
de Tesla est l’absence d’un plan intégré. Trop d’actions sont menées ici et là
pour corriger des problèmes ponctuels sans qu’aucune stratégie industrielle
claire ne se dégage.
L’édification des tentes de production est
l’exemple le plus évident de l’échec du système de production de Tesla.
Avec plus de machines et plus
de personnes, Tesla peine à produire le tiers de ce que GM et Toyota
produisaient dans les mêmes locaux 12 ans auparavant.
Le renouvellement de la
confiance des actionnaires au board en juin dernier a montré la fragilité de la
situation et l’équipe actuelle pourrait bien jouer ses dernières cartes.
Dans ce contexte, la décision
de retirer Tesla de la Bourse pourrait bien être une manœuvre destinée à
sécuriser la présence des investisseurs dans l’actionnariat. Mais quel est
l’intérêt pour des fonds de pension de ne pouvoir ni spéculer ni obtenir de
dividende ?
Avec son tweet et
l’établissement d’un prix de rachat des actions à $420, Elon Musk a annoncé à
mot couvert que l’entreprise pourrait valoir plus de 70 milliards de dollars.
Mais sur quelle base faut-il
accorder du crédit à une telle perspective à l’heure où Tesla peine à réaliser
la montée en cadence de son Model 3, dans un environnement où les risques se
multiplient comme par exemple l’augmentation des coûts de garantie ?
En faisant une telle annonce,
Musk a-t-il voulu camoufler une dégradation de la situation financière de Tesla
?
Le ramp-up de la Model 3 coûte cher. La
voiture a subi des modifications, dont certaines pourraient être structurelles
et, dans ce cas, nécessiter de recertifier le véhicule.
Il semble également que la
Model 3 ne soit toujours pas homologuée pour l’Europe, un processus qui
pourrait nécessiter des modifications du véhicule et cela a un coût.
Dans le même temps, les
annonces d’investissements se multiplient avec la volonté de construire une
usine en Chine et une en Europe.
Côté R&D, le
développement du camion et du roadster va également devoir être pris en compte
puisque de nombreux clients ont signé des chèques pour prendre livraison de
leur véhicule.
Enfin, le déploiement du
réseau de distribution et du réseau de rechargement nécessite lui aussi de
mettre la main au portefeuille.
En regardant de près, cela
fait beaucoup de projets avec des perspectives troubles pour une entreprise
accumulant plus de 10 milliards de dollars de dette et qui perd toujours de
l’argent.
Une année décisive
Les manœuvres d’Elon Musk
n’impressionnent plus et le jeu de diversion est de moins en moins efficace.
La valeur en Bourse de Tesla
reste très volatile et peut inciter le dirigeant à chercher à influencer le
cours mais l’enquête de la SEC pourrait mettre un terme aux trop nombreuses
rumeurs et divagations de Musk.
Sans véritablement rentrer
dans le rang l’entreprise doit maintenant prouver qu’elle est viable.
Le patron de Tesla a
finalement fait machine arrière, une décision pleine de sens à l’heure où
l’entreprise risque d’avoir très prochainement à lever de nouveaux fonds pour
poursuivre son activité.
Enfin, il convient de noter
que retirer Tesla de la Bourse pourrait éloigner les investisseurs puisqu’une
telle manœuvre aurait des implications fiscales importantes pour les
possesseurs d’actions eu égard à la plus-value que certains seront à même de
réaliser.
Tesla reste en Bourse pour le
meilleur ou pour le pire pendant que shorters et actionnaires veillent.
Enfin, il reste à savoir si
les clients seront suffisamment nombreux pour la Model 3 à l’heure où la
concurrence arrive à grand pas dans un marché du véhicule électrique qui
cherche à éviter la contraction sous l’influence des primes à l’achat.
Un quart des réservations
pour le Model 3 auraient été annulées alors que la rentabilité du véhicule
reste à prouver selon que l’on s’adresse à Sandy Munroe ou à UBS.
Course contre la montre ou
fuite hâtive, il est difficile de savoir où en est vraiment Tesla au milieu des
annonces de son dirigeant dont l’objectif est, sans beaucoup de doutes, de
faire diversion et de brouiller les cartes.
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