lundi 27 août 2018

Valeurs résiduelles des véhicules Diesel Ce que le marché Anglais nous apprend ?


Valeurs résiduelles des véhicules Diesel
Ce que le marché Anglais nous apprend ?

Source : Bernard Jullien, Maître de Conférence à l'Université de Bordeaux et conseiller scientifique de la Chaire de Management des Réseaux du Groupe Essca.


Face à une évolution assez défavorable de leur marché du véhicule neuf qui est en repli de 6,8 points sur les 5 premiers mois de 2018, une des hypothèses évoquées est que les difficultés que rencontrent les propriétaires de véhicules à revendre leur automobile les inciteraient à les garder.

Dans la mesure où les offres de loyers sur les véhicules neufs seraient moins alléchantes en raison des craintes que nourriraient les captives et organismes de financement sur les valeurs résiduelles, le phénomène s’amplifierait (1).

Développant un point de vue un peu différent, certains soulignent que le niveau très élevé des immatriculations au Royaume-Uni ces dernières années a été alimenté par le recours massif aux fameux PCPs (pour "personal contract plans" ou "personal contract purchases"

(2)) qui permettaient d’accéder à un véhicule neuf pour des mensualités plus faibles que celles qu’aurait représenté un crédit sur un véhicule d’occasion.

On aurait ainsi vu gonfler une "bulle" constituée en large partie de véhicules Diesel qui peinent à trouver preneur sur le marché de l’occasion depuis deux ans et obligent les organismes financiers à se montrer prudents (3).

On aurait ainsi affaire à des clients qui souhaiteraient continuer à se voir proposer des PCPs pour ne pas endosser le risque sur les valeurs résiduelles mais auraient du mal à en trouver de satisfaisants :

1) parce que la valeur du véhicule qu’ils ramènent en concession valent moins que ce qui était prévu et les privent du montant qui leur aurait permis de baisser leur mensualité et/ou de grimper en gamme ;

2) parce que les organismes de financement seraient très prudents dans l’estimation des valeurs résiduelles et seraient conduits pour cette raison à majorer les mensualités qu’ils proposent.

Cette attitude se retrouverait dans les entreprises et gestionnaires de flottes qui réviseraient leurs manières de constituer leurs parcs pour se prémunir contre un risque sur les valeurs résiduelles considéré comme croissant sur le Diesel en particulier (4). Il en résulterait un déclin accéléré du Diesel.

Même si on peut, en approfondissant ses recherches, trouver un certain nombre d’indices, on est obligé d’utiliser le conditionnel car ces conjectures ou raisonnements au demeurant fort logiques peinent à s’adosser à des chiffres incontestables.

Ceux-ci ne peuvent venir que des professionnels et tous savent que leurs déclarations dans un sens ou un autre risquent d’influencer le marché. En 1948, le sociologue américain Robert King Merton qualifiait ce genre de configuration en parlant des "prophéties auto-réalisatrices".

 Il qualifie le phénomène ainsi : "C’est, au début, une définition fausse de la situation qui provoque un comportement qui fait que cette définition initialement fausse devient vraie." (5).

En l’espèce, si tout le monde pense que les valeurs résiduelles des véhicules Diesel baissent autant que la part des ventes de Diesel dans les immatriculations alors même si la baisse n’était pas jusqu’alors avérée les valeurs vont baisser parce que les détenteurs de ces véhicules vont s’empresser de les vendre avant que la poursuite de la baisse n’ait annihilé la valeur de leur actif et que les acheteurs potentiels de ces véhicules seront persuadés qu’il vaut mieux attendre que la baisse se poursuive.

Pour ces raisons, même si ils la constatent ou la craignent, les professionnels vont contester la réalité de cette baisse et crier le plus fort possible que la dite baisse n’existe pas pour qu’elle n’ait pas lieu.

Ainsi, dans le cas anglais, on peut se référer au magazine Motortrader (6). On y trouve le 21 mai un article intitulé :

"Aucune espèce de crash sur la valeur des berlines Diesel du segment C".

On y concède que les véhicules essence sont à la hausse et les véhicules Diesel à la baisse mais l’on s’empresse d’indiquer que la baisse sur les secondes n’est pas vérifiée pour tous les modèles et reste modérée.

Pourtant, au Royaume-Uni, les véhicules essence étaient déjà plutôt plus demandés sur le marché de l’occasion que les véhicules Diesel car les acheteurs sur le marché des véhicules de 3 ans 90 000 kms examinés sont des particuliers roulant peu alors que les vendeurs sont des flottes dont les véhicules font 30 000 kms par an.

Dès lors que, à la pompe, le Diesel vaut plus cher que l’essence, les écarts de préférence entre les deux types de clientèle impliquait une forte valorisation des véhicules essence que l’on ne constatait ni en Allemagne ni a fortiori en France : selon Autovista, les valeurs résiduelles des Diesel au Royaume-Uni étaient en pleine « folie Diesel » (en janvier 2015) à peine 2% plus élevées que celles des essences (7).

La correction a été rapide et se poursuit. Par exemple, dans le cas de la Golf : les modèles essence conservent à 3 ans 50,6% de leur valeur neuve et les Diesel 42,6% ; la valeur résiduelle des essences a progressé en 2 ans de 3,9 points et celle des Diesel a baissé de 1,8 point.

L’écart croît fortement et cela ne peut qu’inciter les entreprises, les loueurs et les gestionnaires de flotte à amplifier la dédiésélisation.

Alors, Motortrader allume des contrefeux. On trouve ainsi quelques jours plus tard un article sur les modèles Diesel qui restent le moins longtemps en stock pour indiquer combien la demande est encore dynamique (8), un autre qui indique que les ventes aux enchères de véhicules Diesel se tiennent bien  (9) et un troisième qui indique que les vieux Diesel anglais se vendent bien en Irlande (10).

Il y a là, dans la politique éditoriale de cette émanation des professionnels de l’aval, un peu de méthode Coué.

On peut le comprendre et le défendre puisqu’il s’agit de contrer une désaffection pour le Diesel sur le marché de l’occasion qui aurait quelque chose d’irrationnel.

Il n’en reste pas moins que le phénomène existe bien, au Royaume-Uni comme ailleurs en Europe mais au Royaume-Uni plus qu’ailleurs en Europe  et ce pour au moins deux raisons :

- la diésélisation a été au Royaume-Uni un phénomène récent qui a été tiré par les entreprises et les PCPs et qui génère dès lors une abondance de véhicules à vendre qui sont d’autant moins facile à écouler que les alternatives en essence qui n’existent pas en France sont présentes ;

- les anglais conduisent « du mauvais côté » et leur faculté à se débarrasser des véhicules Diesel surnuméraires à l’exportation est limitée.

Ce sont là des conditions singulières que nous ne retrouvons pas en France ou en Allemagne mais quatre points ont une valeur plus générale :
 1/ les PCPs anglais comme nos LLD et LOA ont tiré les marchés européens vers le haut quantitativement et qualitativement vers le haut et les doutes sur les VR rendent la pérennité de cette tendance incertaine ;

 2/ les marchés de l’occasion ont à gérer le passage de primo-détenteurs qui sont souvent des professionnels à des acheteurs de seconde main qui sont des ménages et l’ampleur du décalage entre les préférences des uns et des autres peut poser d’importants problèmes que le cas anglais révèle et qui peuvent exister sous d’autres formes sur d’autres marchés ;

 3/ les informations à ces sujet sont rares et sensibles et/ou rares parce que sensibles au phénomène des prophéties auto-réalisatrices ;

 4/ les flux internationaux en Europe continentale peuvent limiter ce phénomène pour les pays qui comme l’Allemagne sont les plus exposés à la désaffection pour le Diesel ; ils risquent en retour de les accentuer en France, en Italie ou en Espagne.



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