Valeurs résiduelles des véhicules Diesel
Ce que le marché Anglais nous apprend ?
Source : Bernard Jullien, Maître de Conférence à
l'Université de Bordeaux et conseiller scientifique de la Chaire de Management
des Réseaux du Groupe Essca.
Face à une évolution assez
défavorable de leur marché du véhicule neuf qui est en repli de 6,8 points sur
les 5 premiers mois de 2018, une des hypothèses évoquées est que les
difficultés que rencontrent les propriétaires de véhicules à revendre leur
automobile les inciteraient à les garder.
Dans la mesure où les offres
de loyers sur les véhicules neufs seraient moins alléchantes en raison des
craintes que nourriraient les captives et organismes de financement sur les
valeurs résiduelles, le phénomène s’amplifierait (1).
Développant un point de vue
un peu différent, certains soulignent que le niveau très élevé des
immatriculations au Royaume-Uni ces dernières années a été alimenté par le
recours massif aux fameux PCPs (pour "personal contract plans" ou
"personal contract purchases"
(2)) qui permettaient
d’accéder à un véhicule neuf pour des mensualités plus faibles que celles
qu’aurait représenté un crédit sur un véhicule d’occasion.
On aurait ainsi vu gonfler
une "bulle" constituée en large partie de véhicules Diesel qui
peinent à trouver preneur sur le marché de l’occasion depuis deux ans et
obligent les organismes financiers à se montrer prudents (3).
On aurait ainsi affaire à des
clients qui souhaiteraient continuer à se voir proposer des PCPs pour ne pas
endosser le risque sur les valeurs résiduelles mais auraient du mal à en
trouver de satisfaisants :
1) parce que la valeur du
véhicule qu’ils ramènent en concession valent moins que ce qui était prévu et
les privent du montant qui leur aurait permis de baisser leur mensualité et/ou
de grimper en gamme ;
2) parce que les organismes
de financement seraient très prudents dans l’estimation des valeurs résiduelles
et seraient conduits pour cette raison à majorer les mensualités qu’ils
proposent.
Cette attitude se
retrouverait dans les entreprises et gestionnaires de flottes qui réviseraient
leurs manières de constituer leurs parcs pour se prémunir contre un risque sur
les valeurs résiduelles considéré comme croissant sur le Diesel en particulier
(4). Il en résulterait un déclin accéléré du Diesel.
Même si on peut, en
approfondissant ses recherches, trouver un certain nombre d’indices, on est
obligé d’utiliser le conditionnel car ces conjectures ou raisonnements au
demeurant fort logiques peinent à s’adosser à des chiffres incontestables.
Ceux-ci ne peuvent venir que
des professionnels et tous savent que leurs déclarations dans un sens ou un
autre risquent d’influencer le marché. En 1948, le sociologue américain Robert
King Merton qualifiait ce genre de configuration en parlant des
"prophéties auto-réalisatrices".
Il qualifie le phénomène ainsi : "C’est,
au début, une définition fausse de la situation qui provoque un comportement
qui fait que cette définition initialement fausse devient vraie." (5).
En l’espèce, si tout le monde
pense que les valeurs résiduelles des véhicules Diesel baissent autant que la
part des ventes de Diesel dans les immatriculations alors même si la baisse
n’était pas jusqu’alors avérée les valeurs vont baisser parce que les détenteurs
de ces véhicules vont s’empresser de les vendre avant que la poursuite de la
baisse n’ait annihilé la valeur de leur actif et que les acheteurs potentiels
de ces véhicules seront persuadés qu’il vaut mieux attendre que la baisse se
poursuive.
Pour ces raisons, même si ils
la constatent ou la craignent, les professionnels vont contester la réalité de
cette baisse et crier le plus fort possible que la dite baisse n’existe pas
pour qu’elle n’ait pas lieu.
Ainsi, dans le cas anglais,
on peut se référer au magazine Motortrader (6). On y trouve le 21 mai un
article intitulé :
"Aucune espèce de crash
sur la valeur des berlines Diesel du segment C".
On y concède que les
véhicules essence sont à la hausse et les véhicules Diesel à la baisse mais
l’on s’empresse d’indiquer que la baisse sur les secondes n’est pas vérifiée
pour tous les modèles et reste modérée.
Pourtant, au Royaume-Uni, les
véhicules essence étaient déjà plutôt plus demandés sur le marché de l’occasion
que les véhicules Diesel car les acheteurs sur le marché des véhicules de 3 ans
90 000 kms examinés sont des particuliers roulant peu alors que les vendeurs
sont des flottes dont les véhicules font 30 000 kms par an.
Dès lors que, à la pompe, le
Diesel vaut plus cher que l’essence, les écarts de préférence entre les deux
types de clientèle impliquait une forte valorisation des véhicules essence que
l’on ne constatait ni en Allemagne ni a fortiori en France : selon Autovista,
les valeurs résiduelles des Diesel au Royaume-Uni étaient en pleine « folie
Diesel » (en janvier 2015) à peine 2% plus élevées que celles des essences (7).
La correction a été rapide et
se poursuit. Par exemple, dans le cas de la Golf : les modèles essence
conservent à 3 ans 50,6% de leur valeur neuve et les Diesel 42,6% ; la valeur
résiduelle des essences a progressé en 2 ans de 3,9 points et celle des Diesel
a baissé de 1,8 point.
L’écart croît fortement et
cela ne peut qu’inciter les entreprises, les loueurs et les gestionnaires de
flotte à amplifier la dédiésélisation.
Alors, Motortrader allume des
contrefeux. On trouve ainsi quelques jours plus tard un article sur les modèles
Diesel qui restent le moins longtemps en stock pour indiquer combien la demande
est encore dynamique (8), un autre qui indique que les ventes aux enchères de
véhicules Diesel se tiennent bien (9) et
un troisième qui indique que les vieux Diesel anglais se vendent bien en
Irlande (10).
Il y a là, dans la politique
éditoriale de cette émanation des professionnels de l’aval, un peu de méthode
Coué.
On peut le comprendre et le
défendre puisqu’il s’agit de contrer une désaffection pour le Diesel sur le
marché de l’occasion qui aurait quelque chose d’irrationnel.
Il n’en reste pas moins que
le phénomène existe bien, au Royaume-Uni comme ailleurs en Europe mais au
Royaume-Uni plus qu’ailleurs en Europe
et ce pour au moins deux raisons :
- la diésélisation a été au
Royaume-Uni un phénomène récent qui a été tiré par les entreprises et les PCPs
et qui génère dès lors une abondance de véhicules à vendre qui sont d’autant
moins facile à écouler que les alternatives en essence qui n’existent pas en
France sont présentes ;
- les anglais conduisent « du
mauvais côté » et leur faculté à se débarrasser des véhicules Diesel
surnuméraires à l’exportation est limitée.
Ce sont là des conditions
singulières que nous ne retrouvons pas en France ou en Allemagne mais quatre
points ont une valeur plus générale :
1/ les PCPs anglais comme nos LLD et LOA ont
tiré les marchés européens vers le haut quantitativement et qualitativement
vers le haut et les doutes sur les VR rendent la pérennité de cette tendance
incertaine ;
2/ les marchés de l’occasion ont à gérer le
passage de primo-détenteurs qui sont souvent des professionnels à des acheteurs
de seconde main qui sont des ménages et l’ampleur du décalage entre les
préférences des uns et des autres peut poser d’importants problèmes que le cas
anglais révèle et qui peuvent exister sous d’autres formes sur d’autres marchés
;
3/ les informations à ces sujet sont rares et
sensibles et/ou rares parce que sensibles au phénomène des prophéties
auto-réalisatrices ;
4/ les flux internationaux en Europe
continentale peuvent limiter ce phénomène pour les pays qui comme l’Allemagne
sont les plus exposés à la désaffection pour le Diesel ; ils risquent en retour
de les accentuer en France, en Italie ou en Espagne.
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